Francine Sahut (Marly 1919 - Le Chesnay 2002)
"Vous savez que je n'aime pas ajouter la littérature au pictural - qui est mon langage. Une peinture qui a besoin d'un texte est, de mon point de vue, un échec." Voici ce que m'écrivait Francine Sahut, le 5 décembre 1993, alors que, profondément meurtri, je venais de lui apprendre qu'il fallait renoncer, en raison de fallacieux prétextes, à l'exposition rétrospective que, dans le cadre de mes fonctions à la Ville de Valenciennes, je devais mettre en place en janvier 1994. Il m'est donc impossible, sous peine de trahir sa mémoire, de me livrer à un travail de critique d'art. Pourtant sa peinture, découverte au printemps 1962, dans le cadre de la Galerie Giard à Valenciennes, fait, depuis lors, suffisamment partie de ma vie pour que j'en évoque la présence. J'avais été frappé par la puissance, chez cette femme, du trait, de la couleur avec lesquels elle donnait vie à des chevaux, des taureaux, un coq posé sur une chaise, une jeune fille assise, le visage comme serti dans la main. Ces impressions ne m'avaient pas quitté lorsque, préparant un ouvrage sur le peintre Maurice Ruffin qui fut son maître aux Académies de Valenciennes, je l'avais interrogée, en juin 1980. Elle le trouvait "surtout intéressé par le côté "sensibilité" et "artiste" de l'élève, aspect qu'il savait respecter. Lui-même, d'une nature sensible et intuitive, il savait guider l'élève sans le heurter." Et sans doute, une telle délicatesse était-elle indispensable dans les relations que Ruffin dut avoir avec cette jeune élève au tempérament si entier. Elle ne mâchait pas ses mots, ignorait la langue de bois. Elle ressemblait, au fond, à sa peinture. De la découvrir cousine, par sa mère, du sculpteur Alphonse Terroir, ce colosse à barbe de dieu de l'Olympe, auteur de puissantes statues, Prix de Rome que son grand père avait accueilli, en tant que maire, à Marly, en 1902, me plongea dans des réflexions sur la génétique. Du côté paternel, on trouve des chefs d'entreprises. Force, décision, action. A Valenciennes, c'est finalement, disait-elle, davantage auprès du sculpteur Alfred Bottiau qu'elle reçut leçon et encouragement. La vie - un trait, un sillon qu'il faut suivre. Les ateliers d'Art Sacré, dirigés par Maurice Denis et George Desvallières lui apprirent à voir. Mais elle confessait n'en être capable qu'en dessinant. Et c'est sans doute pourquoi ses cartons, dans son atelier, étaient si pleins de ces dessins. A ce titre le paysage de la Drôme lui convint bien mieux que le ciel brouillé de son Valenciennois natal. C'est pourquoi sa peinture est essentiellement dessin. Non pas dessin coloré, ce qui pourrait être mièvre, mais dessin par la couleur. Cette couleur, sur les rives du Nil, elle eut à la capter vite, avant que le soleil n'écrase tout. L'Espagne fut aussi un lieu privilégié pour apprendre, sans cesse, à voir.
J'ai chaque jour devant les yeux un "Bouquet d'arums" que Francine Sahut m'a offert lors d'une visite que je lui fis en 1993. Je le regarde. Je l'écoute. Et je me tais.
Jean-Claude Poinsignon
docteur en Histoire de l'Art - 30 mai 2013.